Une société étrangère est co-employeur des salariés dont elle a repris la société liquidée, dès lors qu’en raison d’une confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre cette société-mère de droit allemand et sa filiale française, la société mère assurait la gestion des ressources humaines de cette filiale, à laquelle elle avait imposé de cesser son activité en organisant le licenciement de son personnel, et que le dirigeant de la filiale ne disposait plus d’aucun pouvoir effectif, étant entièrement soumis aux instructions et directives de la direction du groupe, au seul profit de celui-ci, du fait de son immixtion dans la gestion du personnel travaillant en France.

 

Une société française qui produisait des appareils de manutention manuelle dans son usine d’Argentan avait à Rungis un service administratif et commercial. Elle est devenue en 1974 la filiale d’une société allemande, qui contrôlait également une autre société française distribuant en France les produits du groupe de même nom, et qui était elle-même contrôlée par la société allemande, à travers une autre société allemande.

En octobre 2002, la première société française a cédé à la seconde société française l’ensemble des services implantés à Rungis, le personnel qui y était attaché passant alors sous la direction du cessionnaire.

Un jugement rendu le 1er avril 2003 par le tribunal de grande instance de Créteil a retenu que les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du code du travail n’étaient pas remplies, la première société française a proposé aux salariés rattachés au siège de Rungis d’accepter un changement volontaire d’employeur.

Certains salariés ont refusé cette modification et sont restés au service de la première société française qui a continué à payer leurs salaires sans leur fournir de travail.

En 2004, après avoir conclu un accord de méthode portant sur le plan de sauvegarde de l’emploi, la première société française a licencié pour motif économique la totalité de son personnel employé à Argentan et à Rungis.

Des salariés de l’établissement d’Argentan ont alors contesté la rupture de leurs contrats et demandé paiement d’indemnités en dirigeant leurs demandes à la fois contre la première société française, ensuite placée en liquidation judiciaire le 14 décembre 2005, et contre l’autre société allemande, en tant que co-employeur.

Dans un arrêt du 18 juin 2010, la Cour d’appel de Caen a retenu la qualité de co-employeur de la seconde société allemande.

La Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel dans un arrêt du 30 novembre 2011retenant comme critères justifiant le fait que la société allemande soit co-employeur :

–          qu’il existait entre les sociétés composant le groupe une unité de direction sous la conduite de cette société allemande ;

–          que les décisions prises par cette dernière avaient privé la première société française de toute autonomie industrielle, commerciale et administrative, au seul profit de la société mère du groupe ;

–          que celle-ci avait repris tous les brevets, marques et modèles de la société française et bénéficié de licences d’exploitation,

–          que les choix stratégiques et de gestion de la société d’Argentan étaient décidés par la société allemande, laquelle assurait également la gestion des ressources humaines de la filiale et avait imposé la cessation d’activité, en organisant le licenciement des salariés et en attribuant elle-même une prime aux salariés de la société française ;

–          que le dirigeant de la société française ne disposait plus d’aucun pouvoir effectif et était entièrement soumis aux instructions et directives de la direction du groupe, au seul profit de celui-ci ;

–          qu’elle a pu en déduire qu’il existait ainsi, entre la société française et la société allemande une confusion d’activités, d’intérêts et de direction conduisant cette dernière à s’immiscer directement dans la gestion de la société française et dans la direction de son personnel.