Le rapport sur « le juge du XXIème siècle » demandé par la Ministère de la justice, Madame Christiane Taubira, revient sur la procédure de divorce, et plus particulièrement sur le divorce par consentement mutuel. Celui-ci propose en effet de confier au seul greffier cette procédure qui représente, il faut le rappeler, près de la moitié des divorces prononcés en France.

Le rapport sur le « juge du XXIe siècle », qui devait être présenté les 10 et 11 janvier à l’UNESCO par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation,  propose de « transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel ». Aucune distinction n’est faite concernant la présence ou non d’enfant ou l’existence d’un patrimoine mobilier ou immobilier.

Selon le Figaro du 3 janvier 2013, ce rapport indiquerait que « cette proposition a suscité d’importantes discussions au sein du groupe de travail, mais [elle] a recueilli un large consensus».

Elle viserait avant toute chose à réduire l’engorgement des juridictions. Il est vrai que les affaires familiales drainent près de 80 % de l’activité des tribunaux et que les procédures de divorce représentent à elles-seules plus de 40 % des dossiers des juges aux affaires familiales.

Mais faut-il sacrifier la protection des époux (le sacrosaint « intérêt du justiciable ») sur l’autel du désengorgement des juridictions ?
Certes nous dit-on, « les greffiers sont des professionnels qui ont un très haut niveau de formation et de technicité, ils sont tous bac +5, connaissent parfaitement les arcanes des juridictions et savent élaborer les dossiers ».
Cependant, les risques restent grands de laisser aux greffiers le pouvoir de prononcer les divorces par consentement mutuel, alors même que les divorces dits contentieux resteraient à la charge des juges aux affaires familiales.

Un divorce par consentement mutuel qui désacraliserait un peu plus l’institution du mariage

Au-delà du simple fait de contractualiser toujours plus le mariage qui est – rappelons-le – non pas un contrat mais une institution, apparaît le risque de faire perdre au mariage son caractère fondateur et structurant sur le plan social. Un pas serait de nouveau franchi vers la désacralisation l’institution maritale en rendant le mariage encore plus aisément rompable.

Quel rôle aurait alors le PACS dans ce cadre. Il faut rappeler que le PACS avait selon les travaux parlementaires de l’époque pour objectif de proposer une alternative contractuelle au mariage.

Un divorce par consentement mutuel qui ne désengorgerait peut-être pas pour autant les juridictions

Conséquence directe de cette désacralisation : limiter l’importance du mariage et simplifier la rupture de celui-ci pourrait avoir à long terme l’effet inverse de celui escompter : l’augmentation du nombre de divorces.

Tout comme faciliter les conditions de  licenciement a pour effet de faciliter les embauches, faciliter les conditions du divorce pourrait avoir pour effet pervers l’augmentation du nombre de mariages qui par effet boule de neige entraînerait l’augmentation du nombre de divorces. Moins de réflexion avant de prendre la décision de se marier ne ferait qu’accentuer le pourcentage d’échec des mariages.

Le serpent se mordrait alors la queue puisque même en simplifiant le divorce par consentement mutuel, les greffiers qui se trouveraient en charge de ces procédures se retrouveraient plus débordés que les juges aux affaires familiales actuellement.

Les effets pervers consécutifs à une telle réforme de la procédure de divorce par consentement mutuel

Le rapport  a mis en exergue le fait que « beaucoup d’instances modificatives montrent l’émergence de situations très conflictuelles, bien que les époux aient fait le choix initial de divorcer par consentement mutuel.  ».

La disparition du passage devant le juge aux affaires familiales ne pourrait qu’accentuer cet effet pervers.

Le rapport indique qu’ « il fau[drai]t s’assurer que l’accord obtenu est équilibré, qu’il préserve les intérêts de chacun et n’est pas la conséquence de l’abus d’une position dominante. Il faut aussi vérifier que le choix de la procédure du divorce par consentement mutuel est réfléchi et qu’il traduit une véritable volonté de rechercher une solution amiable aux conséquences personnelles, parentales et patrimoniales du divorce.»

Or, telle est la fonction actuelle du juge aux affaires familiales.

Le passage devant le juge a cet effet étrange parfois de faire accoucher les vérités par son côté plus solennel. Malgré les entretiens parfois très longs que l’on a avec nos clients, cela arrive très rarement, mais parfois, que l’on apprenne des éléments par la bouche même du juge qu’aucun des époux n’avait voulu jusqu’à présent nous indiquer. Ce caractère solennel du passage devant le juge le permet par – en partie il est vrai – le stress qu’il occasionne. C’est en effet pour la plupart des époux la première fois qu’ils sont amenés à rencontrer un juge et cela a certaines conséquences sur l’appréhension de cet événement.

Une telle réforme du divorce impliquerait un changement nécessaire du statut des greffiers

D’un point de vue plus administratif, ce transfert de compétence impliquerait nécessairement  « un changement du statut des greffiers » ainsi qu’une formation spécifique à cet effet. Au-delà de ces points, le statut des greffiers lui-même en serait impacté puisque ces fonctionnaires devraient alors répondre à certaines exigences propres au statut des juges, à savoir l’indépendance et l’inamovibilité et son corollaire les incompatibilités qui en découlent.

Une réforme qui ne tiendrait pas compte de la complexité de certains divorces par consentement mutuel

Le plus étonnant dans ce rapport consiste dans le fait que ne soit pas prise en compte la complexité de certains divorces par consentement mutuel.

La présence d’enfants du couple et les conséquences à prévoir les concernant (autorité parentale, mode de garde – garde normale, garde alternée, droit de visite et d’hébergement, pension alimentaire) ou bien encore les choix pris dans le cadre de la répartition du patrimoine commun (la liquidation du régime matrimonial) sont parfois bien plus complexes qu’ils ne peuvent y paraître de premier abord et nécessitent une grande réflexion.

Pierre Delmas-Goyon, le rapporteur de cette proposition, affirme que certains couples préfèrent dans certains cas divorcer par consentement mutuel a minima et repousser à plus tard les points de désaccord en choisissant des options qu’ils souhaitent rediscuter. Il indique que « ce choix d’une procédure non contentieuse répond dans nombre de cas à la préoccupation de trouver un compromis acceptable à court terme, moins onéreux et plus rapide, sans qu’aient été réellement recherchées des solutions aux problèmes de fond posés par la séparation. »

Si tel est parfois le cas – il ne faut pas se voiler la face-, ceci ne signifie pas pour autant que ces couples représentent la majorité de ceux qui engagent une procédure de divorce par consentement mutuel et qui ont des enfants ou un certain patrimoine, et que l’on puisse sur ce fondement ne pas faire passer ces couples qui divorcent devant le juge aux affaires familiales.

Ce serait favoriser d’abord une telle solution alors même qu’avec le recul on sait qu’elle n’est pas adaptée à leur situation. Monsieur Delmas-Goyon le reconnait d’ailleurs lui-même en déclarant qu’aucune solution aux problèmes de fond n’est alors résolue pour autant.
Ceci mettrait également ces couples dans une situation d’inégalité de protection par rapport aux époux qui divorceraient dans le cadre de procédures contentieuses, les uns passant devant un greffier, les autres devant le juge aux affaires familiales. Il est bien difficile d’imaginer que les intérêts de chacun soient protégés de la même manière.
Retirer l’intervention du juge dans le cadre de ces situations (présence d’enfants ou de patrimoine commun à partager), quand bien même l’avocat est présent en amont, semble pour le moins inadapté.